Intelligence artificielle et désinformation : comprendre les risques
L’IA au cœur de la désinformation
L’intelligence artificielle s’invite partout. Dans nos recherches, dans nos images, dans nos vidéos et bientôt dans nos conversations quotidiennes. Ce qui hier encore relevait de la science-fiction est désormais accessible en quelques clics. ChatGPT rédige des articles, Midjourney conçoit des illustrations, des logiciels modèlent des voix ou créent des vidéos hyperréalistes.
Mais derrière cette révolution créative se cache une autre réalité, beaucoup moins réjouissante : l’IA devient aussi un formidable outil de désinformation. Fake news, deepfakes, citations inventées… jamais il n’a été aussi facile de manipuler l’information.
La question n’est plus de savoir si ces usages existent, mais jusqu’où ils vont transformer notre capacité collective à distinguer le vrai du faux.
Pourquoi la désinformation par IA change la donne
La désinformation n’est pas un phénomène nouveau. Elle a toujours accompagné les débats politiques, les conflits, les transformations sociales. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’échelle et la vitesse.
Produire un faux texte crédible, une image réaliste ou une vidéo convaincante nécessitait autrefois certains moyens. Avec l’IA, quelques minutes et un ordinateur suffisent. Le coût est quasi nul, l’accès est ouvert à tous, et la diffusion est instantanée grâce aux réseaux sociaux.
Cette combinaison bouleverse l’équilibre. Ce qui relevait de l’exception devient banal. Ce qui semblait réservé à quelques acteurs puissants peut désormais être utilisé par n’importe qui, pour déstabiliser une organisation, fragiliser une réputation ou semer le doute dans un débat public.
Quand les organisations se retrouvent en première ligne
Si la société dans son ensemble est concernée, certaines organisations sont particulièrement exposées.
Les entreprises, d’abord, voient leur réputation menacée par des campagnes qui peuvent utiliser des deepfakes ou des témoignages inventés. Une vidéo truquée montrant un dirigeant tenir des propos déplacés peut circuler en quelques heures et détruire des années d’efforts de communication.
Les institutions publiques doivent elles aussi anticiper ces risques. Dans un contexte électoral ou lors d’une crise, des contenus générés par IA peuvent influencer l’opinion, nourrir la méfiance et miner la confiance dans la parole officielle.
Quant au monde éducatif, il se retrouve face à une double responsabilité. Accompagner les jeunes générations dans leur usage de l’IA, et surtout, former leur esprit critique pour résister aux manipulations. Car ce sont ces générations qui devront naviguer dans un monde saturé de récits produits par des machines.
Derrière la prouesse, une fragilité
L’IA impressionne par sa capacité à produire du contenu fluide, cohérent, réaliste. Mais il faut le rappeler : elle ne « comprend » rien à ce qu’elle génère. Elle assemble des probabilités issues de ses données d’entraînement. Le résultat peut être bluffant… mais aussi totalement faux.
C’est ce que l’on appelle des « hallucinations » : une citation attribuée au mauvais auteur, une personnalité inventée, une date erronée. Dans le domaine visuel, on retrouve des détails incohérents : mains déformées, objets impossibles, textes illisibles.
Autre limite majeure : l’absence de transparence. Les modèles se nourrissent de milliards de données trouvées sur Internet, sans indiquer à l’utilisateur d’où proviennent leurs réponses. Impossible de vérifier si l’information repose sur une source fiable ou sur un contenu douteux.
Cette opacité ouvre la porte à des biais encore plus préoccupants. Si l’IA s’appuie sur des données racistes, sexistes ou complotistes, elle peut les reproduire et les amplifier. En 2016 déjà, un chatbot lancé par Microsoft avait basculé en quelques heures vers des propos discriminatoires après avoir été nourri par des échanges sur Twitter.
Les grandes tendances à venir
Ce que nous observons aujourd’hui n’est qu’un début. Plusieurs tendances se dessinent déjà.
La première est l’explosion des deepfakes. Les outils se perfectionnent, les voix et les visages deviennent indiscernables du réel. Demain, une vidéo truquée pourra circuler à l’échelle mondiale avant même qu’une vérification ne soit possible.
La deuxième est la multiplication des usages malveillants. Des études ont montré que ChatGPT pouvait relayer des informations fausses dans 80 % des cas lorsqu’il était confronté à des questions orientées vers le complotisme. La production automatisée de contenus manipulatoires risque donc de s’intensifier.
Troisième tendance : l’automatisation des campagnes de désinformation. Il ne s’agira plus seulement de quelques images ou vidéos, mais de stratégies globales mêlant textes, visuels, voix et diffusion coordonnée. L’IA permettra de concevoir des récits complets, cohérents, capables d’influencer durablement des opinions.
Enfin, la banalisation de l’IA dans le quotidien renforcera notre confusion. Plus les utilisateurs s’habitueront à des contenus générés, plus il sera difficile de distinguer l’authentique du fabriqué. Ce brouillard cognitif fragilise la confiance, déjà mise à rude épreuve, dans les institutions, les médias et les entreprises.
Construire la vigilance et la résilience
Face à ces évolutions, il serait illusoire de compter sur une solution uniquement technologique. Les outils de détection progressent, mais ils ne suffiront pas. La véritable réponse repose sur une culture collective de vigilance.
Cela signifie, pour chacun, développer des réflexes simples : croiser les sources, douter d’une image trop parfaite, analyser un texte avant de le partager. Cela signifie aussi, pour les organisations, investir dans la formation de leurs équipes. Apprendre à identifier un deepfake, à repérer un récit manipulatoire, à réagir vite en cas d’attaque informationnelle.
La résilience, enfin, ne peut être individuelle. Elle doit être construite collectivement, en partageant des outils, en coopérant entre acteurs publics, éducatifs et privés. C’est dans cet effort commun que se trouve la clé pour résister à l’ampleur du phénomène.
Garder le contrôle du récit
L’intelligence artificielle n’est pas une menace en soi. Elle reflète les données qu’elle absorbe et les usages que nous en faisons. Mais son pouvoir de production et de diffusion de désinformation est désormais un fait incontournable.
La lucidité consiste à ne pas céder à l’enthousiasme aveugle, ni à la peur panique. La responsabilité est de reconnaître les dérives possibles de l’IA et de construire les outils – humains, organisationnels, éducatifs – qui permettront d’y répondre.
C’est précisément la mission de Blindspots : aider les organisations à diagnostiquer leurs vulnérabilités narratives, à anticiper les manipulations informationnelles et à renforcer la résilience de leurs équipes. Car dans un monde saturé d’images et de récits produits par des machines, garder le contrôle de son récit devient une nécessité stratégique.